Un soleil pâle venait à peine de se lever. Ses rayons gris filtraient à travers les boxes. La poussière vacillait dans son champ. La paille crissait dans un bruit sourd, sous les sabots du cheval qui occupe l’espace avec moi. Je n’arrive toujours pas à dormir dans un vrai lit. Comme une personne « normale ». Dans le minuscule appartement qu’on a mis à ma disposition au château. Trop de choses occupent mon esprit de toute façon. Trop de cauchemars et de souvenirs passés me hantent aussi. Alors je passe toute mes nuits ici. Dans cet endroit que je préfère. Qui me sert de refuge. Je ne supporte toujours pas les gens, alors cela m’arrange quelque part. Les animaux sont ma seule compagnie et c’est mieux comme ça.

J’entends un coup de vent siffler dans toute l’écurie et la faire trembler légèrement sur ses fondations. Faire claquer les portes. C’est ce qui me décide à me lever. Je vire les brins de foin qui sont restés coincés dans mes cheveux clairs d’un geste, puis passe la main sur mes vêtements pour les nettoyer rapidement. Le jour me frappe si fort que j’en ai du mal à ouvrir les yeux tout de suite. Je flanche un peu sur mes genoux douloureux. Je fais le tour de tous les boxes avec attention, donne à manger aux destriers, vérifie ceux blessés ou malades. Tout est silencieux et j’apprécie vraiment. Tout le monde dort encore, seules les « petites gens », comme on nous appelle, se démènent déjà.

Soudainement, j’entends un bruit étouffé dans la grange, en hauteur. Je scrute dans la pénombre encore présente, mais je n’aperçois rien du tout. Des rats ? Des chats errants ? Je m’approche sans faire de bruit et monde à l’échelle. Le bois craque sous mon poids. Je prie intérieurement pour que cela ne réveille pas ce qui se trouve là-haut. Une fois arrivé, je découvre qu’il s’agit d’un humain. Je m’approche encore. Ce corps maigre. Ces formes légères. Cette tignasse sombre et en bataille …

Mon cœur fait un bon de vingt mètres et mes yeux s’arrondissent. Il a l’air de dormir. Lui que je détestais. Lui que je n’ai pas vu depuis tout ce temps. Lui qui semble avoir changé. Je souffle plusieurs fois pour me calmer et au moment de tendre la main pour le secouer par l’épaule, ses yeux s’ouvrent subitement et son corps se recule précipitamment avec une vitesse que j’ai du mal à suivre. Ses prunelles brillent de peur. Onyx. Ardoise. Charbon ardent. Il a l’air d’une bête effrayée. Blessée et complétement perdue. Errante.

─ Ash’ … C’est moi …

Ma voix se veut douce, presque chuchotante. Je n’aurais jamais imaginé reprononcer ce prénom. Je n’aurais jamais pensé que ce patronyme, que je voyais comme une insulte, franchirait de nouveau mes lèvres. Et pourtant, la personne que j’ai le plus détesté de toute ma chienne de vie se tient là. Devant moi.