S'il y a bien quelque chose que je ne connais pas de la vie, c'est le luxe. Jamais je n'ai pu le tester ou même l'effleurer. Cette notion me semble lointaine et elle n'a pas l'intention se rapprocher de moi plus que cela. M'enfin bon, je ne vais pas me plaindre : je suis encore en vie et qui plus est, en bonne santé !
Quoi ? Cela vous semble logique ? Ah, mais si vous pensez ainsi, c'est que vous venez de quartiers que je ne fréquente que très peu, voire pas du tout. Oubliez-moi ! De toute façon vous ne croiserez jamais une trainée pareille, telle que moi. Seules les rues crasseuses m'accueillent à bras ouverts et le confort m'est totalement inconnu : la vie est un combat de tous les jours et sans repos !
Vous devinerez que mon enfance ainsi que ma vie en général, fut misérable, pauvre et quelque part, affreusement banale. Et bien pour tout vous dire... Oui et non.
J'ignore qui est mon père, mais je sais que ma mère m'a abandonnée. Ne pouvant plus s'occuper d'une petite bâtarde hybride, elle m'avait lâchée dans la nature alors que je n'avais que trois ans. Cependant, et vous le savez très bien, les régions glacées de Jotunheimr sont invivables et très inhospitalières. Les années qui suivirent furent éprouvantes. Mais - parce qu'il y a bien un "mais" - c'est aussi une région dans laquelle les loups ne sont pas rares. Oh les loups, c'est méchant et ça mord ! Ca fait même très peur ! Pour de simples humains, oui. Pour une hybride oscillant entre humaine et louve, c'est une toute autre histoire. Croyez-moi ou non, ce fût une louve alpha qui eut pitié de moi et m'éleva. Bien entendu, j'étais constamment sous ma forme animale. Je m'étais même intégrée à la meute. J'en avais presque oublié que, quelque part au fond de moi, j'étais aussi une humaine...
Les loups s'attaquent souvent aux voyageurs, c'est un phénomène courant. Seulement, j'étais bien le seul loup de la meute à ne pas prendre part au combat. Quelque part, j'avais pitié d'eux, bien que je ne voulais jamais l'admettre. J'en avais même sauvé quelques-uns, les prévenant sous ma forme humaine, par des gestes. En général, personne ne me voyait clairement dans ce brouillard et toute cette neige. J'étais comme un mirage ou une bonne étoile. Sans le vouloir, j'étais devenu un mythe : "la jeune fille à la peau de loup qui prévenait les pauvres voyageurs d'une attaque imminente de la part de ces fameux canidés". Ma foi pourquoi pas. Ça sonnait assez bien...
Cependant, cette fameuse rumeur s'était éparpillée telle de la poudre dans la région de Jotunheimr. Et un jour, quelqu'un me dupa. C'était ingénieux de sa part, mais je pense bien que cette personne savait de base que j'étais en réalité une hybride et non pas un loup à part entière et encore moins une légende.
C'était durant l'hiver de mes huit ans. C'était une saison difficile et la nourriture se faisait rare. Le gibier s'était comme volatilisé, disparu. La louve qui m'avait recueilli, était morte l'année précédente. Par conséquent, le louveteau étrange que j'avais toujours été, était souvent mis de côté et n'avait presque rien à se mettre sous la dent. J'étais constamment affamée. Mes apparitions en tant qu'humaine se firent plus rare. En fait, je ne le faisais que dans l'espoir de voir un humain me nourrir, me donner une récompense à tout ce que je pouvais bien faire pour les voyageurs. Comme par magie mon souhait s'était réalisé.
Ce jour d'hiver, il ne neigeait pas. On pouvait voir sans problème les grandes montagnes et l'horizon. J'étais là, allongée dans la neige, l'observant. Lui aussi me fixait, intrigué. Il s'était agenouillé et progressait vers moi. J'étais sur mes gardes et je grognais faiblement. Il balança un morceau de viande. Mes oreilles se dressèrent et mon attention se posa sur la texture rougeâtre et puante qui traînait dans la neige. Je m'approchais, d'abord méfiante. Je le reniflais, avant d'en lécher la surface. De la viande. Je n'en fis qu'une bouchée. Je l'avais dévorée, mais mon ventre ne s'était pas calmé et ma pense en demander encore. Je levais la tête vers cet inconnu qui se pressa de me jeter un autre morceau de viande. Puis un autre. Et encore un autre. Il continua jusqu'à finalement pouvoir me caresser le crâne. Il venait de me dompter.
Cet homme, du nom de Grégoire de Valvert, était à la tête d'une guilde commerçante assez importante : Fenrir - comme les montagnes. J'avais rejoin son groupe assez rapidement et docilement. En échange de nourriture et d'un toit, j'accomplissais diverses missions qu'il me confiait. Mais pourquoi donc accorder autant d'importance à une hybride ? Surtout dans cette région glaciale où chaque métissé animal était persécuté ? Et bien, c'était pour une simple raison : cette guilde avait bien du vrai, mais s'avérait être surtout une couverture. C'était surtout un refuge servant à accueillir les hybrides et leur donner un travail rémunéré. Grégoire était lui-même un hybride : mi-humain, mi-tortue alligator. Kézako ? Bah cherchez dans vos manuscrits et vous serez ce qu'est ce drôle d'animal. Je ne vais quand même pas vous mâcher tout le travail ! M'enfin bref, reprenons.
Au sein de cette guilde je pus trouver un travail, mais aussi un nom : Marcelina. Oui c'est moche, mais le chef voulait absolument que je m'appelle comme ça, c'est rageant... On m'apprit à lire, écrire et parler. Cela fut facile, notamment grâce à ma vivacité d'esprit et mon intellect - non je n'ai pas les chevilles qui gonflent. Parallèlement, je développais des pouvoirs que je n'avais jamais remarqués. Je pouvais faire pousser des plantes, quel que soit la saison ou le temps. Encore une fois, sans le vouloir, j'étais devenu une personne d'importance capitale. Je pouvais aider la guilde à combler ses pénuries alimentaires lors des hivers rudes, mais je pouvais aussi accompagner les commerçants lors de leurs traversés dans les pleines enneigées, les protégeant des meutes de loups. J'étais devenu le petit bijoux de la guilde.
Les années défilèrent tranquillement jusqu'à mes 16 ans. Pourquoi ? Parce qu'on me donna une mission qui était assez loin de ce que j'avais l'habitude d'accomplir. Je devais enlever quelqu'un : le fils héritier de la famille Lysandro. C'est qui ceux-là ? Et bien pour faire court, il s'agit d'une famille bourgeoise très influente dans la capitale et même dans la région. Il contrôle tout et sont légèrement... Non, très hybridophobes. Enlever leur fils pour réclamer une rançon était une sorte de revanche sans violence. Personnellement, j'aurais bien mis le feu à leur résidence principale, mais les ordres sont les ordres...
Le jour-J, je m'y attelais. Joliment vêtue et coiffée d'un grand chapeau qui cachait mes oreilles de louve, je m'invitais en douce à la fête organisée par les Lysandro. Ils faisaient souvent des soirées costumées ainsi que des bals et de grands buffets. Que d'argent gaspillé pour rien ! Me balader dans la salle de fête et l'inspecter me dégoûtait. Cependant, je devais me concentrer sur ma cible et non le reste.
Activement, je le cherchais. Je l'imaginais bien se mêler avec aise dans la foule... Je me trompais. Non. Ce jeune homme d'à peine 11-12 ans, qui s'appelait Aiden Lysandro, s'était replié dans un coin de la salle. Le regard dans le vide, il semblait attendre que les heures passent, ne se mêlant nullement à la foule. Un tel comportement m'intrigua : ce n'était pas dans l'habitude des plus riches de rester en retrait ainsi - du moins, c'est ce qu'il me semblait. Je vins converser un peu avec lui, un verre de champagne en main. Il ne me répondait que par de simples mots, c'était très dur de créer une conversation.
Je soupirais, regardant si nous nous trouvions bien à l'abri des regards. Ce jeune homme était si désespérant que je décidais d'aller droit au but. Je le coinçais contre le mur, le regardant avec un sourire mesquin.
- Tu vas venir avec moi et sans rechigner gamin ou je t'enfonce mes griffes dans le bide, annonçais-je en lui montrant mes pattes menaçantes.
Pour plus de crédibilité je retirais mon chapeau. Je pensais l'effrayer, mais le garçon resta anormalement calme. Seuls ses yeux semblaient briller. Qu'est-ce qu'il me faisait celui là ?
- V-Vous êtes une hybride ? s'exclama-t-il doucement.
Non, tu vois, je suis une algue en fait... Mais il est bigleux ce gamin ou il est con ! J'avais envie de ricaner, mais il se mit à bouger un peu la tête. Je continuais de le bloquer contre le mur, m'assurant qu'il ne se rebelle pas. En fait non, il ne fit que me montrer des oreilles étranges, fines et brune. Il les cachait sous sa chevelure. C'était un hybride. Un hybride dans la famille des Lysandro ?! C'était le comble du comble ma parole !
- Si vous souhaitez m'enlever, faîtes. Je ne ferais preuve d'aucune résistance.
Je me sentis un peu déstabilisée. Je ne savais plus trop quoi faire. Au final, je ne fis que prendre la fuite, le laissant derrière moi. J'avais honte. Je n'étais pas parvenue à accomplir ma tâche. Je ne pouvais pas rentrer à la guilde les mains vides.
Je décidais de rester aux alentours du manoir des Lysandro. J'observais les moindres faits et gestes du gamin, depuis la broussaille. Ce fut assez compliqué, car beaucoup de garde circulaient autour de la bâtisse. Quelle gêne ! Je serais bien tentée de prendre ma forme de louve et de l'embarquer, coincé entre mes mâchoires. Résiste ! Résiste et soit patiente ! Ce manège dura plusieurs jours. Ce fut Aiden Lysandro qui alla à ma rencontre. Moi qui étais persuadée de ne pas m'être faite repérée, je m'étais bien faite avoir. Sans aucune résistance, il me suivit jusqu'à la guilde. Sa vie entre les murs de ce manoir devaient bien être tristes pour partir ainsi, sans même se retourner.
Quelques semaines plus tard, aucun avis de recherche n'apparut et même notre demande de rançon fut renvoyée. Pauvre gosse... Personne ne semblait se soucier de son sort et le pire dans tout ça, c'est qu'Aiden en était pleinement conscient. Au final, après avoir convaincu le chef de la guilde, Aiden put rejoindre notre groupe. Il était mi-humain, mi-chauve-souris. Il était plutôt mignon et pas très grand. Malheureusement, pour une raison que j'ignore encore, ses ailes sont complètement déchirées et il reste incapable de voler - qu'il soit humain ou animal. Cela me faisait mal au coeur... Et je me suis battue pour être son tuteur. Oh quelle fierté que d'avoir un disciple ! Muahaha !
D'abord maitre et disciple au sein de la guilde, nous finîmespar devenir coéquipiers, associés. Nos tâches, nous les accomplissons ensemble. Généralement il s'agissait de transporter la marchandise vers les autres régions. Il arrivait souvent qu'on s'absente plusieurs mois.
Mais quatre ans plus tard... Aiden et moi furent séparés. Surpris par une violente tempête de neige, je m'étais complètement égarée. J'avais beau chercher dans les horizons : pas moyen de retrouver le jeune homme et la charrette. Non pas que je baissais les bras, mais je décidais de finalement me rendre à notre destination finale. Peut-être aura-t-il eu la même idée ?...
Ah ! Et notre destination, c'est Pandora ! Les villes souterraines... Je crois... Enfin, quoi qu'il en soit, j'y suis depuis déjà presque un mois et toujours pas de Aiden à l'horizon... Mais qu'est-ce qu'il fout ! Quand je le reverrais, je lui passerais un sacré savon ! On ne fait pas attendre une femme, voyons !
Bref résumons pour ceux qui se seraient endormis en route : je suis une hybride humaine-louve. Alors que j'étais qu'une toute petite enfant, j'ai été abandonnée et recueillie parmi les loups. Malheureusement, lors d'un hiver rude et une pénurie de gibier, la meute me délaissa. Le chef de la guilde Fenrir se chargea de me prendre sous son aile. J'apporte beaucoup d'avantages à la guilde et je lui suis entièrement fidèle. Un jour on me charge de kidnapper l'héritier Aiden Lysandro : j'y arrive pas, mais finalement j'y arrive quand même. On devient associé. On se perd de vue et voilà ! Si vous avez compris ça, vous avez tout compris. Bravo !