Nicotine & Corbillard

Il ne savait pas depuis quand il était à la rue. Des semaines ? Des mois ? Probablement. Pourtant il était parti sur de bonnes bases, il avait un chez lui, il savait chasser, il avait de l'argent. Et le voilà maintenant. Il avait du trouver un travail, et vite : il ne pouvait pas rester sans argent comme ça, sa situation pouvait encore s'améliorer, elle devait s'améliorer. Ashæ avait vite trouvé du travail, même si ce n'était pas le plus glorieux qui soit. Au départ il avait cherché dans le centre ville, ça payait mieux et c'était moins dangereux pour le pauvre petit Ashæ, frêle et sans défense. Il avait de l'espoir. Après tout, beaucoup de bars ouvraient dans le centre ville de Loitaceila, il n'y en avait pas un en manque de personnel par hasard ? Apparemment non. Alors il s'était réorienté vers les ruelles sombres, les bars miteux où ça fumait, ça se droguait, ça se saoulait, ça se tabassait sans qu'on ne dise le moindre mot. Ash n'aimait pas ces endroits là, mais il ne pouvait pas faire autrement ; aussi il trouva du travail sans trop de peine, et c'est ainsi qu'il finit serveur dans un bar où il n'aurait jamais pensé mettre les pieds un jour.

S'accommoder à l'ambiance de cet endroit avait été dur au début. Il ne s'était pas attendu à ce qu'on lui réserve le presque même traitement qu'aux filles peu vêtues qu'il voyait entrer la nuit. Il apprit très vite à maîtriser les clients ivres, à éviter les mains baladeuses quand il slalomait entre les rangées de tables serrées, à ne plus faire attention aux remarques perverses qui l'auraient probablement fait rougir ou qui auraient fait hurler son frère autrefois. Parfois il se retrouvait tiré sur les genoux de quelqu'un alors qu'il traversait la salle, mais il savait exactement comment se dégager, même si ce n'était pas si facile que ça parfois. Ses heures de travail s'étendaient du début de soirée jusqu'au petit matin, quand le bar fermait. Il avait donc tout le temps de dormir la journée, mais il fallait l'avouer : toute cette agitation l'épuisait. Il vivait dans l'appartement au dessus du bar, quand son patron l'autorisait à y aller. Trouver du sang n'était pas bien difficile, surtout lorsqu'on habite dans ces ruelles où des ivrognes passaient régulièrement.  Il n'avait donc pas vraiment à se plaindre de ce côté là.

Un soir où tout était censé se passer comme d'habitude, la situation lui échappa complètement. Il faisait son service, plongé dans sa bulle pour ne pas être atteint par les commentaires et les gestes déplacés des clients, comme d'habitude. C'était sans compter lorsque deux bras assez puissants agrippèrent sa taille pour le tirer en arrière, le faisant s'asseoir sur les genoux d'un homme complètement ivres aux attentions pas forcément louables. Ashæ soupira de lassitude, tentant plus ou moins vainement de s'éloigner, quand soudain une voix s'éleva parmi le vacarme ambiant.

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C'était presque ébahi que Viktor déambulait dans les rues de la capitale. Cette foutue capitale, cette capitale infâme, cette capitale chère à son cœur. Cette capitale dont il ne s'était plus vraiment préoccupé ces derniers mois. Soigner Myuu lui avait pris tout son temps, au point qu'il en avait perdu un peu de poids - rien d'affolant ou remarquable non plus - et qu'il avait cessé toute consommation de mana.

Mais là, tout de suite, il tuerait pour une bonne bière et une clope.

Alors il était sorti s'acheter un paquet, et zigzagait de ruelle en ruelle, passant devant les enseignes qui lui étaient familières, cherchant celle qui saurait l'attirer entre ses murs pour ce soir. Finalement, son choix se porta sur un bar dont la clientèle était réputée très ... tactile, mais où il avait déjà échangé quelques mots avec certains habitués autour d'une chope ou d'un cylindre fraîchement roulé. Poussant la porte de bois usée à force d'être malmenée, son loquet étant mort depuis dieu seul sait quand, il balaya la salle brièvement, à la recherche d'un visage connu aux places habituelles, mais rien. Soupirant, il louvoya entre les tables et les filles de joie, nonobstant ces dernières, après avoir fait un vague signe à un des serveurs.

Si le vampire à la chevelure anarchique désirait échanger avec un être humain, il ne comptait pas non plus se forcer à mettre une donzelle dans son lit. Pour l'instant, il n'y avait guère qu'une paire de jambes qu'il avait vraiment aimé renverser, et ... Viktor exhala un fin nuage de fumée, lâchant un vague mot de remerciement à l'arrivée de sa boisson. Laissant ses pensées et son regard vagabonder comme le panache de nicotine, son attention finit par être attirée par un éclat de rire et une rumeur montante, comme avant qu'une baston ou un scandale n'ait lieu.

Et quelle ne fut pas sa surprise quand, assis sur les genoux d'un énième ivrogne, il reconnu le jeune bouclé qui se faisait allègrement peloter comme étant Ashæ. Voyant rouge, Viktor se redressa brutalement, ses yeux rivés sur l'inconscient ennuyant son cadet.

« Tu le lâches de suite.»

Le tueur fou était là, juste sous sa peau, n'attendant qu'un geste pour jaillir et sévir.

Nicotine & Corbillard

Un petit couinement de terreur traversa les lèvres d'Ashae alors qu'une main se glissait entre ses cuisses pour palper sa peau, la toucher comme personne ne l'avait fait avant. Et Dieu merci d'ailleurs ! Le jeune vampire réservait cette partie de son être qu'à une seule personne. À la limite, deux, mais dans tous les cas, ce n'était certainement pas cet ivrogne qui allait lui faire découvrir les plaisirs charnels. Ce n'était ni le bon moment, ni la bonne personne. Un sanglot manqua de lui échapper quand il comprit qu'il n'arrivait pas à se dégager de l'étreinte puissante de son... Agresseur ? Client ? La frontière était très fine entre les deux, et il suffisait d'un mouvement pour la franchir. La voix qui parvint à ses oreilles, terriblement familière, l'emplit d'un soulagement amer.

« Tu le lâches de suite. »

Ashae releva le regard, dont la couleur pomme était intensifiée par les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux. L'homme qui se tenait devant eux était bien connu par le plus jeune. Il n'avait pas changé, et en même temps beaucoup de choses étaient différentes : son regard, qui possédait dorénavant une lueur enflammée qui faisait frisonner Ashae de terreur de par sa gravité, et sa façon de se tenir, beaucoup plus fière, dangereuse, sauvage. Ashae ne se trouva alors pas plus en sécurité dans les bras de l'inconnu que sous le regard de Viktor. Il tremblait de tout ses membres, se trouvant oh si honteux, ridicule et pathétique de se trouver dans cet état là devant Viktor : les cheveux en bataille, débraillé, les jambes écartées comme celles d'une catin sans fierté. Il chercha alors à se recroqueviller, à se rouler en boule, mais c'était sans compter la main, traîtresse, qui se trouvait posée entre ses cuisses, l'empêchant de les serrer. Le jeune homme se ressaisit, comme animé par la honte qui traversait son corps, et donna un coup de talon dans le genou de son agresseur, un coup de tête dans sa mâchoire et mordit la main qui enserrait son poignet, puis il fit un bond pour se relever. Ses yeux croisèrent ceux de Viktor, qui était devenu comme fou, en proie à une fureur intérieure qu'Ashae avait du mal à vraiment mesurer dans toute son intensité. Le plus jeune était heureux de retrouver son amour d'adolescence et la seule personne en qui il avait eu confiance, mais la peur qu'il fasse un massacre le faisait trembler. Il attrapa les épaules de Viktor avec toute la tendresse dont il était capable et l'emmena à l'arrière du bar en lui chuchotant des paroles mielleuses, pleines d'une assurance feinte, pour le persuader qu'il allait bien et que ce qui venait de se passer n'était pas grave.
Et puis, une fois arrivés dehors, dans le froid et la nuit, Ashae se laissa aller. Il alla enlacer Viktor avec tout l'amour dont il faisait preuve à son égard et le serra contre lui, fort. Il ne voulait plus que son grand frère, que son amoureux s'en aille. Enfouissant son visage contre la chemise tâchée de sang séché du plus vieux, il se laissa aller aux larmes.

« Tu m'as tellement manqué... »

Sa voix n'était plus qu'un murmure, faible mais bien audible malgré les bruits de la ville qui restait animée malgré l'heure avancée.

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Terrifié. Son petit frère tremblait de peur autant à cause de son harceleur qu'à cause de Viktor. Quelque part au fond de son cœur, le mage de terre eu un élan de tristesse, mais largement noyé par la fureur qui guidait ses pas sans même y penser jusqu'à la table de l'ivrogne et de son cadet qui se démenait comme un beau diable.

Tuer. Tuer. Tuer. Cette idée tournait en boucle dans sa tête, et Vik pouvait presque déjà goûter le sang sur sa langue, dans sa gorge, s'en délecter. Quand il vit Ashæ se rebiffer et mordre la main de l'harceleur, le cœur du meurtrier fit un bond, et il aurait massacré le "client" dans la seconde si son cher frère n'était pas venu vers lui ... Pour le pousser dehors.

Abasourdi, il se laissa faire, l'étreinte que le bouclé lui offrit le ramenant sur terre et lui permettant de réordonner ses pensés. Il allait s'emporter, encore enragé de ce qui venait de survenir dans le bar, quand il sentit des larmes chuter sur sa chemise, et entendit le filet de voix d'Ash.

« Tu m'as tellement manqué... »


Adouci, sa colère calmée par la détresse du plus jeune, il rendit avec force le câlin, ses bras autour d'Ashæ d'une manière protectrice, peut-être un brin possessive, mais sincère. Viktor embrassa le crâne de son frangin, chuchotant tout pas pour le calmer et le rassurer, avant de s'accroupir un peu pour se mettre à sa hauteur et plonger son regard dans le sien, comme il l'avait toujours fait.

« Tu m'as manqué aussi ... Mais c'est bon, c'est fini Ashæ, je suis là ... »

Vik caressa doucement sa joue du pouce, dans un nouveau geste de réconfort, avant de demander plus calmement qu'il ne l'aurait fait juste avant.

« Qu'est-ce que tu fichais ici, hein ? En plus à travailler ... C'est dangereux pour toi, tu le sais ... Tu devrais même pas t'approcher de ce genre de zone ... »

Non, son frère qu'il voyait toujours comme un doux agneau, malgré sa condition de vampire, n'avait selon Viktor rien à faire dans des quartiers aussi mal famés, où les principales professions était filles ou garçons de joie, voleurs, assassins ... Plutôt le rayon de l'hirsute en somme.